Hilary Dymond, back to mimesis
« Vous allez simplifier la peinture. » (1) On connaît le constat, bienveillant mais froid, de Gustave Moreau, le maître, lancé à Matisse, son jeune élève des Beaux-Arts (Paris). Et on sait comment l’élève devenu maître, avec d’autres, a simplifié la peinture occidentale, jusqu’à l’extrême. Jusqu’à ce que l’image se dissolve dans la peinture, jusqu’à ce que la peinture se dissolve dans l’idée. Jusqu’à ce que la peinture devienne autonome. Chez le jeune Matisse, l'ancien avait perçu la déliquescence annoncée de la figuration, et avec elle, celle de la représentation. Celle de la mimesis, au fond, cette vieille notion platonicienne, qui avait perduré deux millénaires et qu’Aristote avait distinguée ainsi : (a) simple imitation de la nature, (b) stylisation de celle-ci.
L’histoire de la peinture n’est pas linéaire. Elle procède par ruptures et par cycles. Après Matisse, le processus de simplification a perduré, jusque dans les années 1970. Mais que faire une fois que l’on a tout réduit ? Que peindre après que Support/Surface a proclamé « l'objet de la peinture, c'est la peinture elle-même et les tableaux exposés ne se rapportent qu'à eux-mêmes » (2) en décomposant les éléments constitutifs du tableau (châssis, toile, sujet, titre, geste, mode de représentation) ? Que peindre après que Daniel Buren, Olivier Mosset, Michel Parmentier et Niele Toroni (B.M.P.T.) ont dépouillé la peinture de sa virtuosité, de toute notion de style et de perfectibilité, en la transformant en un geste unique inlassablement répété ? Après, on peint ce que l’on veut, où l’on ne peint plus.
Hilary Dymond est née en 1953 à Blackwood (Pays de Galles). Ces gestes radicaux, ils se sont passés alors qu’elle était enfant dans les pays noirs britanniques, bien loin de ces préoccupations (anti-)bourgeoises. Hilary Dymond voulait devenir peintre, mais son apprentissage de la peinture a été difficile, d’abord à cause de la méfiance familiale puis surtout en France, parce qu’après ce mouvement d’introspection pictural, cette division par zéro, on ne voulait plus la voir, la peinture. Les années 1990 étaient acquises à l’installation, à l’art vidéo, au concept, à l’art relationnel. À tout, sauf à la peinture.
Sans transgresser quoique soit – une volonté que l’on a pu lui prêter –, mais à contre-courant, Hilary Dymond a peint. L’adversité a été forte. Mais elle savait ce qu’elle voulait. Les Anglais ont un mot pour ça, stubborn. Elle a développé un travail en série, de tous formats. Sur ce point, on a coutume de dire que les grands formats exigent des mouvements amples induisant un rapport au corps, et les petits, consciencieux et précis, au mental. Dans le travail en série, l’épuisement, qu’il soit physique ou mental, lui. L’épuisement du sujet, surtout. Peindre jusqu’à ce que le sujet s’épuise, lui aussi. Et des sujets éprouvés, il y en a eu certains : les Fields (1995-2000), les Close-ups (1999-2001), les Lakes (2003-2005), les Mountains (2003-2006), les Coast (008-2009), Venice (2010-2013) et enfin Winter Path et Méditerranée, toujours en cours à l’heure de ces lignes.
Et à chaque série, le même processus. Le choix du sujet, l’immersion dans la nature, puis le travail à l’atelier. Et ce n’est pas d’une nature statique qu’il s’agit. Le vent passant dans les herbes, un ciel qui s’assombrit, la réflexion du passage fugace d’un nuage dans le reflet de l’eau… Hilary Dymond peint une nature en transition, un état en train de passer. Au bruit et à l’allegro de l’homme, Hilary préfère le silence et le piano de la nature. Une peinture silencieuse, seulement troublée par le flux et le reflux des vagues ou le souffle du vent.
Ainsi, de façon sérielle, Hilary Dymond a développé son style, d’abord caractérisé par de fréquents jeux de matière. La gestualité est apparente dans ses toiles : l’impasto pour la terre et les ciels ombrageux, une peinture épaisse grattée pour les prairies, mais aussi de superbes aplats pour l’eau et d’autres ciels, plus calmes. Une palette généralement resserrée autour d’une ou deux couleurs de tête, déclinée(s). L’importance du noir, du blanc, des tons ocres et terreux, parfois ragaillardis de bleu, de vert ou de jaune. Des contrastes forts ou des toiles presque monochromes. Sans règle préétablie, si ce n’est celle de peindre tel qu’elle perçoit, c’est toute la palette et les formes de la nature que l’on retrouve sur les toiles de la peintre.
La composition, aussi, est essentielle. La ligne d’horizon, qui parfois respecte la sacro-sainte règle du 1/3 (de terre) 2/3 (de ciel), le plus souvent ne s’y soumet pas. Avec des lignes d’horizon hautes, il en résulte une sensation de flotter dans l’air ou de se retrouver sur un point de vue surplombant, c’est selon. Des tableaux, toujours très structurés. Parfois épurés – un simple horizon peut fournir l’excuse d’un travail minimal, un presque-monochrome traversé par une ligne –, ils sont le plus souvent construits par de puissantes lignes de forces (horizontales, verticales, obliques) et des compositions où les formes géométriques simples – le carré, le triangle – structurent le tableau. Parfois, c’est le contraire, notamment dans les Fields et surtout les Close-ups, qui déploient un enchevêtrement inextricable de lignes.
Bref, pas de règle préétablie, mais une peinture rigoureuse. Ou plutôt, une grammaire et un lexique. Toute la diversité des couleurs et des formes de la nature se retrouve dans les toiles d’Hilary Dymond. Le jeu (l’enjeu), c’est la transcription plastique. Il en résulte un travail traversé de correspondances, en réseau. Sa manière de représenter telle ou telle réalité naturelle – le reflet du soleil dans l’eau ou dans le sable mouillé, le vent dans les prairies, un ciel sombre, la rocaille des montagnes et de la mer –, on la retrouve d’un tableau à l’autre, d’une série à l’autre. Comme la nature croît selon certains patterns, toujours les mêmes, mais dont l’issue est à chaque fois différente, Hilary Dymond réemploie les techniques mises au point d’une toile à l’autre, d’une série à l’autre, les perfectionne, fait évoluer ses coups de pinceau.
Finalement, la peinture d’Hilary Dymond n’est pas réaliste. On voit trop que c’est de peinture qu’il s’agit. Il n’y a pas cette volonté de tromper comme Parrhasios a trompé Zeuxis avec son rideau. Et puis, la notion a gagné avec Gustave Courbet une teneur sociale, absente chez Hilary Dymond. Toujours la nature, jamais l’humain. S’il y a une absence dans ces toiles, c’est bien celle de l’Homme. Hilary Dymond développe plutôt une pratique de la peinture que l’on pourrait qualifier d’objective. Peindre tel qu’on perçoit. Cette objectivité, c’est bien un retour de la mimesis après qu’elle a disparu (sans jamais vraiment disparaître, c’est son paradoxe…) de la peinture occidentale. La mimesis dans les deux acceptions qu’en donne Aristote : à la fois imitation et stylisation de la Nature. L’émerveillement est double face aux tableaux d’Hilary Dymond. C’est celui de paysages archétypaux, que l’on a tous arpentés, dans lesquels il est aisé de projeter des situations vécues, comme des fenêtres ouvertes sur nos souvenirs. Le second, dans la transcription picturale et les effets trouvés par la peintre pour dépeindre la nature et ses effets.
Au fond, qui est le plus vivant de l’art ou de la nature ? La question, sans doute, existe depuis que l’art existe. La peinture peut-elle parvenir à rendre toute la vitalité de cette nature, son intensité, sa présence, son mouvement permanent ? C’est là que réside le projet d’Hilary Dymond.
(1) Pierre Schneider, Matisse, Flammarion, 1984
(2) Louis Cane, Daniel Dezeuze, Patrick Saytour, Claude Viallat, catalogue de l’exposition « La peinture en question », Musée du Havre, 1969
Texte réalisé pour le catalogue de l'exposition Hilary Dymond, Landscapes, du 10 mars au 17 juin 2018 au Centre d’art de Campredon (L'Isle-sur-la-Sorgue)