Bibliophilie, une histoire de rencontres
Les colophons racontent des histoires. Celles de rencontres qui se sont nouées entre des artistes, des poètes, leurs éditeurs et les imprimeurs. Tout cela formalisé dans le choix de papiers, d’encres, de techniques… Les artistes savent adapter leur style en empreinte, tordre leur geste pour l’adapter à de nouveaux procédés, fussent-ils aussi complexes que ceux de l’impression. Une histoire de transposition plastique. Pour ses premières gravures, Alexander Calder a découpé des morceaux de cuivre, à la manière de ses mobiles. On les retrouve dans Fêtes, ouvrage réalisé avec Jacques Prévert en 1971, si calderiennes. Pour son projet Mas allà (1973) avec Jorge Guillén, Eduardo Chillida a opté pour la gravure sur bois, qui transpose si bien la poésie et la matière de ses lignes singulières, délicatement courbées et enlacées. Le livre d’Antoni Tapiès Cartes per a la Teresa (1974), en ayant recours au collage, au flocage et à la gravure, embrasse parfaitement l’univers hétéroclite de l’artiste. Autant de choix pour créer des objets uniques, malgré l’édition, nécessairement plurielle.
Aimé Maeght et l’impression
C’est une belle rétrospective de bibliophilie que propose actuellement la galerie Maeght, en exposant principalement les projets menés par l’imprimerie Arte, située dans le XIVe arrondissement de Paris. Depuis sa fondation en 1964 par Aimé Maeght – qui lui-même a commencé comme lithographe –, elle a édité près de 12.000 titres. L’imprimerie, portée vers l’expérimentation, a été l’une des premières à se doter d’un scanner en Europe, avec lequel Joan Miró a copié des objets et les a dupliqués en lithographie, dès 1971.
La galerie était un lieu d’effervescence artistique, mais aussi littéraire et poétique, les surréalistes n’étaient jamais loin. Quoi de plus naturel, dans un monde de mots et d’images, que le recours à l’édition ? Après que Tristan Tzara a écrit à l’hôpital psychiatrique de Saint Alban Parler Seul et que Joan Miró a pris connaissance du texte, c’est Aimé Maeght qu’il a consulté pour éditer le livre, imprimé en 1948.
Pas de rééditions, que des originaux sont exposés à la galerie. « Tous les livres de bibliophilie sont sensationnels, explique Isabelle Maeght, qui a posé un pied dans Arte en 1971 et n’en est jamais parti. Pour faire un livre réussi, il faut laisser une liberté totale au poète et à l’artiste ; il faut aussi un éditeur et un imprimeur assez fous pour vouloir et réussir à les suivre, en trouvant les bonnes techniques et les bons médiums, pour s’adapter à leurs désirs. » Une liberté y compris dans la langue, comme ce livre liant Pol Bury — lui-même très impliqué dans l’édition avec l’imprimerie Daily-Bûl — et André Martel. Dans La Géométrille dé ramollisses (1975), le colophon est déjà un formidable déplacement du langage (« en langorge paralloïdre »), non sans rappeler les travaux d’un Jehan-Rictus. Les différentes éditions étaient accompagnées de « ramollissements » lithographiés de Pol Bury.
Petites et grandes histoires
Dans l’exposition de la galerie Maeght, l’anecdote côtoie le récit. Par exemple, la confection d’Adonides, un texte de Jacques Prévert illustré par Joan Miró, a exigé à elle seule près de vingt ans (de 1947 à 1975, date de son impression puisque le livre n’a été publié qu’en 1978), à cause des expériences menées sur les nombreuses techniques employées – eaux-forte, embossage, aquatinte, lithographie. La signature de Jacques Prévert est un fac-similé, le poète décédant peu avant la publication. « Il a vu le livre fini ; mon père a été lui porter à l’hôpital, se souvient Isabelle Maeght. Il en était très ému. » Le Cahier de Braque, commencé en 1916, achevé en 1947, est truffé d’aphorismes sur l’art et de dessins de l'artiste en noir et blanc. « J’aime la règle qui corrige l’émotion » ou « C’est le fortuit qui nous révèle l’existence au jour le jour », peut-on lire parmi les pages exposées.
Les derniers ouvrages imprimés chez Arte sont là, aussi, notamment un projet mené entre Marco Del Re et Ivan Alechine. « C’est un poème de trente pages, d’un seul tenant, sans virgule ni ponctuation, explique Isabelle Maeght. Ivan Alechine voulait que cela se déroule, Marco Del Re s’est adapté pour les illustrations. » Et la directrice de la galerie de rappeler : « Chaque livre naît d’une histoire particulière. »
Mémo
« Maeght, imprimeur et éditeur d’art »
Jusqu’au 7 octobre 2017
Galerie Maeght
42 rue du Bac, 75007 Paris